#RDVAncestral

# RDV Ancestral

Chaque troisième samedi du mois, il est possible de partir à la rencontre de ces ancêtres. Le #RDVAncestral est un projet d’écriture, ouvert à tous, qui mêle littérature et généalogie. L’idée principal de ce rendez-vous est de partir à la rencontre de ces ancêtres, à l’époque choisi, et d’imaginer la suite. Vous pouvez retrouvez les rencontres de tous les participants sur le site www.rdvancestral.com.

Bon sang, qu’il fait froid ! Je ne sais dans quelle ville je me trouve ni l’époque dans laquelle je suis mais, une chose est sûre, nous sommes en hiver. Les quelques personnes qui s’aventurent dehors sont emmitouflés dans leur manteau bien chaud. Si seulement je pouvais savoir où je suis….

Je regarde autour de moi. Au loin, j’aperçois un vendeur de journaux, je me précipite vers lui :

« Bonjour Monsieur, dis-je.

Bonjour Madame, me répond-t-il aimablement.

Excusez-moi de vous déranger en plein travail mais pouvez-vous me donner la date d’aujourd’hui et dans quelle ville sommes-nous ?

Interloqué, le vendeur me répond tout de même :

Euh, nous sommes le jeudi 10 mars 1864 et vous êtes dans la ville de Puteaux. Mais vous semblez perdue, je peux certainement vous aider ?

Le 10 mars 1864, mon Dieu, quelle chance ! Il faut que je me dépêche si je veux au moins l’apercevoir ! Je ne sais pour combien de temps je vais rester à cette époque…

Merci Monsieur, c’est gentil à vous. Pouvez-vous m’indiquer comment me rendre au Commissariat de Police ?  »

Toujours aussi inquiet, le vendeur me donne le chemin à suivre pour aller au plus vite. J’en ai pour 5 bonnes minutes à pied mais je suis bien trop impatiente, j’accélère le pas.

Arrivée devant le Commissariat, je reprend mon souffle. Il faut que j’ai l’air « normal » et que je me fasse la plus discrète possible. Une voiture tirée par deux chevaux s’arrête devant la bâtisse. Une femme puis un garçonnet descendent. Je pense le reconnaître. Dans quelques minutes, si j’arrive à les suivre, je serais fixée. Ils entrent dans le Commissariat. J’emboîte le pas derrière eux.

La Dame s’adresse à un policier dans le hall. Malgré le brouhaha, j’arrive à entendre, très faiblement, ce qu’elle lui demande. Le petit garçon se tient sagement près d’elle.

« Bonjour Monsieur l’Agent. J’ai rendez-vous avec le Commissaire ROUBEL, est-il disponible pour me recevoir ?

Bonjour Madame, répond-t-il, Monsieur ROUBEL vous attendait, je vous invite à me suivre. »

L’Agent se dirige vers l’arrière du bâtiment. La Dame et le petit garçon le suivent. Je marche discrètement derrière eux. Il y a du monde dans ce Commissariat, ils ne devraient pas s’apercevoir de ma présence…

Nous entrons dans une vaste pièce composée d’un bureau central et de plusieurs offices. De part et d’autre de l’entrée, deux grands bancs avec déjà des personnes assises. La Dame se tourne et s’adresse au petit garçon :

« Jules, assieds-toi sur le banc, si l’on a besoin de toi, je t’appellerais. »

Jules s’exécute sans un mot. Il s’assied sur le banc à gauche. La Dame s’avance vers le bureau central. A mon tour, je m’assoies mais sur le banc de droite.

« Bonjour Monsieur ROUBEL, je suis Madame ROUX.

Bonjour Madame ROUX, je vous attendais, lui répond-t-il d’une voix grave. Je vous en prie, asseyez-vous. Le Commissaire se tourne vers un agent de police. Auguste, pouvez-vous m’assister et rédiger le procès-verbal ?

L’homme lui fait un signe de la tête et s’assied  à la table la plus proche. Le Commissaire l’imite, mets de l’ordre sur son bureau et commence son interrogatoire :

Madame ROUX, pouvez-vous décliner votre identité : nom, prénoms, domicile, profession.

Je me nomme Gabrielle ROUX née MOISSON, j’ai 42 ans, je suis ménagère et je réside avec mon époux, ouvrier boulanger, au 2 rue du Puits d’Amour à Suresnes…

Bien, c’est suffisant, coupe le Commissaire. Pourquoi venez-vous ? demande-t-il sèchement.

Madame ROUX, tout en tripotant son mouchoir en tissu, commence son récit :

Cher Commissaire, le 10 août 1862, deux dames : l’une paraissant âgée de 25 à 30 ans, se nommant Henriette GASNAL, se disant la mère et l’autre d’une soixantaine d’années, répondant au nom de Madame Veuve GASNAL, demeurant toutes les deux à la Maison Crépin, Place d’Armes à Suresnes, sont venues placer en pension chez moi un petit garçon âgé de 5-6 ans et qu’elles nommaient Jules GASNAL. Apparemment, ces deux dames venaient de Paris mais demeuraient à Suresnes depuis 5-6 semaines. Elles paraissaient être dans une situation modeste. Elles m’avaient promis de me donner 25 francs par mois pour la pension du petit. Le lendemain, elles quittèrent la ville sans laisser d’adresse, sans me prévenir ni même me laisser quelconques pièces pouvant justifier l’état-civil du petit garçon. Depuis cette date, je ne les ai revues, ni pour me payer la pension, ni pour le réclamer. J’ai entamé des recherches pour les retrouver mais elles sont restées vaines. J’ai questionné Jules à plusieurs reprises, il se rappelle seulement avoir habité à Batignolles et avoir peut-être été baptisé à l’Eglise Saint Roch. J’ai cherché son acte de baptême néanmoins cela n’a pas porté ses fruits. N’ayant pas d’autres ressources que le travail de mon mari, je ne peux le garder plus longtemps sous mon toit et à ma charge. Madame ROUX, tête baissée, tripote toujours son mouchoir.

Bien Madame. Le Commissaire semble bien trop habitué à ce genre de situation et abrège l’entrevue. Vous n’avez-rien à ajouter ? lui demande-t-il.

Non Monsieur le Commissaire, répond-elle d’une faible voix.

Bien. Les faits sont donc exposés. Auguste avez-vous pris note de la déposition de Madame ?

Parfaitement Monsieur le Commissaire, répond l’Agent.

Bien. Madame ROUX, par conséquent, je propose donc le placement de l’enfant Jules GASNAL au service des Enfants Assistés de l’Assistance Publique de la Seine.

Madame ROUX acquiesce d’un signe de tête. Je regarde Jules assit sur l’autre banc. Le regard dans le vide, il a l’air si triste. Quelques minutes s’écoulent.

Madame ROUX, dit le Commissaire, le procès-verbal est rédigé, vous allez pouvoir le signer.

Merci Monsieur le Commissaire, toutefois, je ne vais point pouvoir le signer, je ne sais pas écrire, avoue-t-elle.

Bien Madame, nous allons le consigner dans le procès-verbal. Avez-vous des questions ? demande toujours aussi sèchement le Commissaire.

Que va-t-il se passer pour Jules ?

Un agent va le conduire au dépôt de la Préfecture de Police afin qu’il soit statué à son égard comme il appartiendra. De notre côté, nous allons lancer des recherches afin d’obtenir des indices sur ses parents. Madame ROUX, attentive à la réponse du Commissaire, baisse à nouveau la tête. Si vous n’avez plus de question, je vous raccompagne. »

Expéditive cette entrevue… Forcément, pour un enfant abandonné, on ne va pas perdre son temps… Le Commissaire se lève, Madame ROUX fait de même. Elle range son mouchoir dans sa poche et le suit. Le Commissaire s’arrête devant le petit garçon et lui dit :

« Mon garçon, attends ici, un agent va venir te chercher. 

Jules relève la tête, le regarde et esquisse un petit sourire de politesse.

Au revoir Jules, lance Madame ROUX ». Puis sans un regard, elle passe la porte et s’en va accompagnée du Commissaire.

Jules ne la regarde pas non plus, il baisse la tête. Une larme se met à couler sur sa joue.

J’ai envie de hurler ! J’ai envie de rattraper Madame ROUX et de lui demander comment elle arrive à l’abandonner une seconde fois ! Il a 7 ans, il n’a rien demandé à personne ! Comment arrive-t-elle à se regarder dans le miroir ? N’a-t-elle pas de cœur ?

Je m’approche de Jules et m’accroupie près de lui. Le petit garçon ne me regarde pas. Il a l’air perdu.

« Bonjour Jules. Je lui essuie sa petite larme délicatement. J’ai tellement envie de le prendre dans mes bras et de l’emmener avec moi.

Bonjour Madame, me répond-t-il timidement.

Ça va aller ?

Je pense que oui…

Tu sais Jules, tu auras une belle vie quand tu seras grand. Ne laisse personne dire que tu n’es pas à la hauteur. Tu es intelligent, créatif et plein d’esprit. Tu verras, tout s’arrangera.

Un peu surpris par mes propos, il me regarde et me dit :

Merci Madame pour vos gentils mots.

Un agent entre dans la pièce et appelle d’une forte voix :

Jules GASNAL ?

Jules se lève et répond :

Oui Monsieur.

Suivez-moi, je dois vous déposer à la Préfecture de Police, dit sèchement l’agent.

Jules a de nouveau ce regard triste. Il se tourne vers moi et murmure :

Je vous reverrai ?

Mes yeux se remplissent de larmes. J’aimerais tellement pouvoir rester à ses côtés, le voir grandir, tout savoir de lui. A voix basse, je lui dis :

Je suis désolée mais c’est impossible. Je suis ton futur. Mais sois sûr que je ne te quitterai pas. Je ne t’abandonnerai pas, je t’en fais la promesse. Je te suivrai toujours. De bonnes choses t’attendent dans le futur. Saches que je suis très fière de toi.

Madame, vous connaissez ce garçon ? m’interroge l’agent.

Je me lève,

Non, non. Il était seul assit sur le banc, je suis simplement venue lui parler.

D’accord. Jules GASNAL, allons-y.

Au revoir Madame, me dit Jules.

Au revoir mon cher Jules... »

Je le regarde s’éloigner… C’était tellement court. Je suis si triste de le voir partir, j’aurais tant souhaiter que cet instant dur plus longtemps. Mais qu’aurais-je pu dire de plus à ce petit garçon ?

A mon tour, je quitte le Commissariat. Dehors, il fait toujours aussi froid. Je ne peux m’empêcher de penser à Jules. Que va-t-il se passer jusqu’au 14 décembre 1864, jour où il sera définitivement admis au service des Enfants Assistés du département de la Seine sous le matricule 10730. Je ne peux m’empêcher de l’imaginer seul, dans un dortoir. Mon pauvre Jules. Dans les documents que j’ai sur lui et dans les recherches qu’il a effectué adultes, il n’a jamais été fait mention de cette Madame ROUX. Se souvient-il avoir passé 2 ans chez elle ? Après ces 2 traumatismes, il a bien le droit d’avoir occulté une partie de son enfance. Une chose est sûre, il n’a donc jamais été trouvé sur une charrette à la frontière espagnole comme cela a été dit dans la famille.

Je décide de marcher un peu, cela va peut-être me remettre de mes émotions…

 

 

Sur la transcription du PV dans le registre des naissances de l’année 1864 de la commune de Suresnes (page 34), il est indiqué que la Police a procédé à des recherches afin d’obtenir des indices sur les parents de Jules, sans résultats, et qu’en conséquence, il a été déposé au dépôt des Hospices de l’AP-HP. Malheureusement, pas de Jules dans les registres des enfants en dépôt de l’année 1864. Où l’ont-ils emmené ?

Je n’ai découvert cette transcription qu’en avril 2017. Une pièce du puzzle tellement importante. 10 ans à chercher, à ne trouver que des bribes mais je t’ai fait une promesse Jules, je ne t’abandonnerai pas. Peut-être qu’un jour je réaliserai l’un de tes plus beaux projets, je l’espère tant…

certif origine

illustration : archive personnelle

18 réflexions au sujet de “# RDV Ancestral”

  1. Réaliser l’un des projets de Jules … voilà qui donne envie d’en savoir plus. On espère que dans la réalité, il y aura eu une personne bienveillante pour consoler Jules en cette journée si triste.

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  2. Je ne sais pas comment on dit: « emotional rollercoaster » en Français, mais vraiment tous ceux d’entre vous qui ont participé au RVS Ancestral aujourd’hui m’ont donné des sensations incroyables. J’attends d’en savoir plus sur Jules en espérant que sa vie a été une belle réussite.

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    1. Merci beaucoup pour votre lecture ! Les #RDVAncestrales sont des ascenseurs émotionnels ! C’est tellement bouleversant de partir à la rencontre de ceux qu’on aurait aimé connaître !! Jules a bien réussi sa vie malgré un début de vie bien triste ! Je pourrais parler de lui pendant des heures mais il faut savoir s’arrêter 😉! Merci pour votre commentaire, c’est toujours encourageant 😊

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    1. Merci beaucoup ! Je vous ferai découvrir encore d’autres morceaux de la vie de mon cher Jules ! Bon il y a encore pas mal de trou, surtout pendant son enfance mais j’y arriverai 😉 ! Merci pour votre lecture.. et merci pour votre challenge AZ, j’avais hâte à chaque fois de découvrir la lettre du lendemain !!

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